Histoire / Rainisoalambo (suite).

Rainisoalambo
c. 1830 Ă  1904
Église Protestante
Madagascar

Madagascar eut des martyrs chrĂ©tiens Ă©difiants comme Rafaravavy Marie durant la trentaine d’annĂ©es de persĂ©cutions lors du règne de Ranavalona 1re (1828-1861). Elle connut aussi, dans les dernières annĂ©es du mĂŞme siècle, au dĂ©but de la colonisation française, un rĂ©veil religieux qui se transforma, soixante-dix ans plus tard, en une Église protestante ayant statut lĂ©gal. Ce mouvement spirituel, Ă  vrai dire, n’avait rien d’unique, puisqu’il s’en produisait plusieurs en Europe Ă  la mĂŞme Ă©poque. Il possède pourtant ses caractĂ©ristiques propres car il prit naissance en milieu rural paĂŻen, au pays BetsilĂ©o. Son initiateur fut Rainisoalambo.

A cette Ă©poque, le niveau de vie dans les campagnes reculĂ©es de l’Ă®le Ă©tait assez bas. On mourait facilement de phtisie et de variole. Bara et Sakalava se relayaient pour faire des coups de main sur les pauvres villages BetsilĂ©o et les exigences royales Ă©taient très lourdes.

Le père de Rainisoalambo, betsilĂ©o « marambasia, » reprĂ©sentant et hĂ©rault royal, Ă©tait un bon orateur. PaĂŻen intelligent, il connaissait la divination par les graines, savait tirer les horoscopes et utiliser les simples. Il avait enseignĂ© tous ces arts Ă  son fils qui apprit les charmes efficaces et les recettes mĂ©dicales locales. Ce fils fut chargĂ© de s’occuper de l’enfant, nommĂ© Vola, seigneur local, d’oĂą son premier nom: Rezaimbola « cadet de Vola » bien qu’il fĂ»t son aĂ®nĂ©. Ce n’est qu’Ă  la naissance de son propre fils qu’il prit le nom de Rainisoalambo.

Malheureusement, charmes et pharmacopĂ©e Ă©taient impuissants Ă  guĂ©rir la pauvretĂ©, la crasse, l’ignorance et la malnutrition. Après avoir vu sa famille dĂ©cimĂ©e, son troupeau devenu squelettique, ĂŞtre lui-mĂŞme couvert d’ulcères et incapable de travailler, Rainisoalambo, du fond de sa misère, interpella le Dieu dont parlaient des missionnaires norvĂ©giens (arrivĂ©s depuis 1866 et installĂ©s Ă  Soatanana en 1877). La mĂŞme nuit, d’après son tĂ©moignage, il entendit cet ordre: « Jette au loin toutes tes amulettes et tes moyens de divination. » Ă€ l’aube il obĂ©it et se dĂ©barrassa des corbeilles de morceaux de bois, de graines, de perles, etc., qu’il avait accumulĂ©es, et ce 15 octobre 1894, il se sentit dĂ©livrĂ© de ses maux, sentit ses forces lui revenir et il se sut devenu un nouvel homme.

Sachant dĂ©jĂ  lire, il se plongea dans la Bible, surtout dans le Nouveau Testament. Il Ă©tait frappĂ© par le message qu’il en recevait et faisait part de ses dĂ©couvertes Ă  son entourage qu’il engageait Ă  se dĂ©barrasser de ses gris-gris (ody) pour retrouver la santĂ©. Il n’eut de cesse de convertir ses proches et sa famille et discuta avec eux du contenu des Écritures, des affirmations et des promesses qu’elles contiennent.

Le 9 juin 1895, douze personnes Ă©taient rĂ©unies chez lui, que ses conseils avaient grandement amĂ©liorĂ©es. Ensemble, elles convinrent que c’Ă©tait Dieu lui-mĂŞme qui leur avait rendu la santĂ©. Qu’en consĂ©quence, elles devaient le reconnaĂ®tre pour tel et le servir. Tout prirent mĂŞme des engagements solennels: apprendre Ă  lire et Ă  connaĂ®tre les chiffres pour lire la Bible selon ses chapitres et versets: nettoyer maisons et cours et avoir une cuisine sĂ©parĂ©e pour faire le feu: avoir un jardin potager et des ressources alimentaires personnelles; tout commencer toujours par la prière, faite au nom de JĂ©sus; les enterrements (source de ruine et occasions de beuveries et de dĂ©bauche chez les paĂŻens) seraient cĂ©lĂ©brĂ©s en vĂŞtement dĂ©cents, avec cantiques, prières et exhortations, mais sans abattage de bĹ“ufs. Cette rĂ©union intime mais extraordinaire se termina par l’effusion du Saint Esprit. Ainsi naquirent les « Disciples du Seigneur. »

Ayant donc reçu confirmation de sa mission, Rainisoalambo commença aussitĂ´t l’instruction du groupe en s’aidant des brochures, dont le « Petit catĂ©chisme » de Martin Luther, traduit par M. Borgen, qu’il put se procurer auprès du missionnaire ThĂ©odor Olsen, auquel, en octobre 1895, le groupe tout entier vint demander le baptĂŞme.

Très vite, le village de Rainisoalambo, Ambatoreny, devint un centre d’attraction pour de nombreux malades. Les nouveaux convertis les exhortaient, priaient pour eux Ă  haute voix et leur « imposaient les mains. » De plus, parmi les « Disciples, » beaucoup s’empressaient d’annoncer Ă  leurs voisins ou Ă  leur parentĂ© ce qui leur Ă©tait arrivĂ© et encourageaient chacun Ă  faire la mĂŞme expĂ©rience. Rainisoalambo en enseigna spĂ©cialement quelques-uns, sans qu’ils cessassent leurs occupations de cultivateurs, puis il les envoya deux par deux chez les paĂŻens avec le titre d' »ApĂ´tres » et les mots d’ordre suivants: repentance, humilitĂ©, patience, amour du prochain, prière, communion et entraide mutuelle.

L’annexion de l’Ă®le par la France avait donnĂ© une vigueur entreprenante et quelque intolĂ©rance au catholicisme, aussi les dĂ©buts de ce mouvement passèrent-ils presqu’inaperçus. Son action resta modeste et surtout s’efforçait de ne pas attirer l’attention des nouvelles autoritĂ©s. Ce n’est qu’en 1899 que le RĂ©veil (Fifohazana) se rĂ©pandit. Pour plus de tranquillitĂ©, Rainisoalambo quitta Ambatoreny et vint s’Ă©tablir Ă  Soatanana, sous l’aile de la Mission norvĂ©gienne luthĂ©rienne.

Son message resta simple et adaptĂ© aux populations que ces humbles apĂ´tres osaient approcher: confiance en Dieu, lecture de la Bible, rejet des gris-gris et des usages paĂŻens, valorisation du travail agricole, culture des jardins, plantations d’arbres, abstention de l’alcool et du tabac, monogamie. De plus, les « ApĂ´tres, » avec conviction et une grande autoritĂ©, « imposaient les mains » aux malades pour les guĂ©rir et, au nom du Christ, chassaient les dĂ©mons. Exorcisme et guĂ©rison Ă©tant insĂ©parables de la prĂ©diction du salut.

Dans les lieux oĂą ces ApĂ´tres rencontraient un accueil favorable et oĂą un petit noyau acceptait leur message, ils instituaient l’un des fidèles comme « gardien » pour diriger et exhorter ses frères.

Et sans cesse, Rainisoalambo enseignait de nouveaux disciples et envoyait chaque annĂ©e de nouveaux apĂ´tres, tous recrutĂ©s parmi les ruraux, qui retournaient ensuite dans leur milieu. En 1904, le vieux « père-et-mère » avait prĂ©vu de rĂ©unir Ă  Soatanana, le 10 aoĂ»t, tous ceux qui avaient acceptĂ© le message Ă©vangĂ©lique sous la forme qu’il lui avait donnĂ©e et se conformaient aux règles très simples de la petite communautĂ©. Il avait fait construire une grande maison pour accueillir les très nombreux hĂ´tes attendus et avait prĂ©vu une ample provision de riz pour les nourrir. Mais la rĂ©union se tint sans lui, car il mourut le 30 juin, âgĂ© et affaibli.

Son souvenir reste vénéré dans les églises protestantes de tout Madagascar.

Louis Molet

Photos:

[1*] Trois chefs du renouveau à Soatanàna. De gauche à droite : Rajeremia avec sa femme, Rainitiaray avec sa femme, Rainisoalambo avec sa femme. La Bible est sur la table entre eux. Ils portent le lamba (une sorte de châle).
[2*] La mission à Soatanàna, 1892-1895. Photographe: Théodor Olsen.
[3*] Réunion dehors à Soatanàna, environ 1906.
[4*] Groupe de personnes dehors, dans la cour, pour une réunion. Betsileo.
[5*] Préparations pour une réunion de renouveau, environ 1906. Les préparatifs prenaient souvent toute la journée.
[6*] Réunion de renouveau à Soatanàna, environ 1906. Certains sont assis sous des parasols.
[7*] Le paysage autour de SoatanĂ na.

Toutes photos sont publiées avec la permission des Archives de la Mission, l’Ecole de Mission et Théologie (MHS), Stavanger, Norvège.

Cet article, rĂ©imprĂ®mĂ© ici avec permission, est tirĂ© d’Hommes et Destins: Dictionnaire biographique d’Outre-Mer, tome 3, publiĂ© en 1977 par l’AcadĂ©mie des Sciences d’Outre-Mer (15, rue la PĂ©rouse, 75116 Paris, France). Tous droits rĂ©servĂ©s.